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ÉLÉMENTS DE L'HISTOIRE GÉOLOGIQUE DE MAYOTTE

par Alain Mercier

 

Situé entre Madagascar et l'Afrique de l'Est, l'archipel des Comores s'étend sur près de 270 km selon une direction générale N120°E (WNW-ESE), séparant le Canal du Mozambique, au Sud, du bassin de Somalie, au Nord (doc. 1).

Documents 1 et 1' : Contexte général (passer la souris sur le document pour accéder au document 1' et découvrir les îles de l'archipel avec les périodes d'activité volcanique qui ont édifié chacune d'elles depuis leur émersion)

L'archipel est constitué de quatre îles volcaniques : Mayotte, Anjouan, Moheli et Grande Comore (doc. 1'); chacune correspond à la partie émergée de vastes volcans boucliers mis en place sur un plancher océanique situé à plus de 3000 m de profondeur et vieux de 141 à 135 millions d'années (Ma).

Mayotte est la première à s’édifier, Grande Comore est la dernière, avec un volcanisme toujours actif (le Karthala).

Etant la plus ancienne, Mayotte est la plus érodée des îles de l'archipel, et ses récifs coralliens sont les plus développés (doc. 1').

 

Document 2: Contexte géologique de Mayotte (modifié d'après Stieltjes, 1988)

(passer la souris sur le document pour accéder à la document 2' montrant les limites supposées des principaux appareils volcaniques qui ont contribué à l'édification de l'île; modifié d'après les documents du BRGM))

L'ensemble des formations volcaniques de Mayotte, comme des autres îles de l'archipel, appartient à des séries alcaline et hyperalcaline, essentiellement sous-saturées en silice (cliquer ici pour accéder à la classification de ces roches).

Les termes les plus basiques (les moins différenciés) correspondent principalement à des basanites et à des basaltes à clinopyroxène, olivine et localement néphéline; ils constituent l'essentiel du bâti de l'île (doc. 2). Les termes plus différenciés, bien moins représentés, correspondent principalement à des téphri-phonolites, des phonolites et, pour les plus évolués, des trachytes.

Ces formations se sont mises en place au cours de crises plus ou moins longues entrecoupées de périodes de relatives accalmies durant lesquelles des processus d'érosion intense ont prédominé, accompagnés du développement de récifs coralliens.

 

UNE ÉDIFICATION DISCONTINUE, MARQUÉE PAR UNE ALTERNANCE DE CRISES ET DE PÉRIODES D'ACCALMIE
L'édification de Mayotte commence il y a environ 15 millions d'années (au Miocène) au fond de l'océan avec l'activité de deux appareils volcaniques. L'accumulation de leurs produits conduit à la construction progressive de deux vastes volcans boucliers qui émergent il y a 7 à 8 millions années pour former l'essentiel de Grande-Terre. L'un de ces appareils se localise en mer, au Nord-Ouest, dans la région de Mtsamboro, l'autre au Sud, dans la région de Bouéni (doc. 2').

Jusqu'à 4,5 - 5Ma ( fin Miocène-début Pliocène), l'activité est franchement effusive : à la faveur de crises, entrecoupées de périodes d'inactivité, les deux volcans, au fonctionnement simultané, émettent en abondance des laves basaltiques fluides représentées principalement par des basanites, des basaltes à clinopyroxène +/- olivine, minéraux auxquels s'ajoute dans le Sud, la néphéline. Ces laves alcalines sous-saturées voire très sous-saturées en silice, pour celles du Sud, constituent aujourd'hui l'essentiel de Grande-Terre; étant les plus vieilles (les plus anciennes ont été datées à 7,7 Ma), ce sont aussi les plus altérées, jusqu'à être parfois latéritisées.

De 4,5 - 5 Ma jusqu’à 2,5 Ma (Pliocène) : Les deux appareils principaux émettent des produits qui vont devenir de plus en plus différenciés traduisant une évolution chimique des magmas : ils s'enrichissent progressivement en silice et en alcalins (Na, K) du fait d'une cristallisation fractionnée. Mise en lumière par une érosion intense, cette évolution va marquer les paysages de Mayotte; ainsi :

- à partir de 5 Ma les deux grands volcans commencent à se fissurer à leur périphérie, permettant à des laves, encore relativement fluides, de s'épancher sur de grandes distances, empruntant les profondes vallées creusées par les rivières. Ces laves sont représentées essentiellement par des basaltes riches en clinopyroxène (ankaramites), des téphrites et, au Sud, des néphélinites. Plus jeunes et donc relativement moins altérées, elles forment actuellement de nombreuses crêtes et la plupart des pointes de l'île.

Document 3: le neck du Mont Choungui, une cheminée dégagée par l'érosion, où un magma visqueux s'est solidifié. (passer la souris sur la photo pour accéder au document 3' et découvrir le dôme-coulée de Saziley)

- Vers 3,5 Ma, la différenciation magmatique se faisant, les laves émises sont de plus en plus siliceuses et alcalines pour devenir de composition phonolitique. Plus visqueuses, elles forment des coulées épaisses qui vont se mettre en place sous forme de dômes, de dômes-coulées et de necks, constituant parmi les plus hauts sommets actuels de l'île, respectivement, les monts Benara, Saziley et Choungui (doc. 3 et 3').

 

Durant cette période, l'activité volcanique du Nord tend à se déplacer vers l'ESE : un troisième centre d'emission commence à s'individualiser entre les deux volcans existants (région de M'Tsapéré, fig. 2'). En raison des vidanges successives de leur chambre magmatique respective, associée probablement à une diminution de leur alimentation par du magma sous-jacent, ces deux édifices primitifs sont affectés d'effondrements conduisant pour chacun, à la formation d'une ou de plusieurs caldeiras (caldeiras emboitées?).

Soumise à l'érosion et à l'affaissement de l'ensemble du bâti volcanique sous l'effet de son propre poids, l'île commence à s'enfoncer dans l'océan : les caldeiras sont progressivement submergées; celle du Sud se retrouve actuellement au niveau de la baie de Boueni, alors que celle du Nord disparaît en mer au large de la région de Mtsamboro.

Entre 2,2 Ma et 2 Ma (fin Pliocène), une distension de la croûte océanique entraine une reprise de l'activité effusive dans le Nord : du magma basaltique s'injecte dans les nombreuses fissures crées par la distension et alimente des coulées de laves fluides qui vont couvrir des reliefs depuis la partie NW de l'île jusqu'au delà de la baie de Longoni vers le SE.

Document 4: Conduit de magma basaltique (dyke) recoupant une coulée plus ancienne et dégagé par l'érosion différentielle sur une plage de la région de Mtsahara (photo S. Gallet, Lithothèque de Mayotte).

Le magma et les laves associées vont donner différents types de basaltes depuis des basanites à olivine, très basiques, jusqu'aux basaltes à phénocristaux de pyroxène (ankaramites) pour les termes les plus évolués.

Caractérisées par leur faible taux d'altération, ces roches sont particulièrement bien représentées dans la partie NW de l'île où elles s'individualisent sous forme de dykes parfois très concentrés (doc. 4).

De 1,8 à 1,4 Ma (début Pléistocène), l'activité se concentre et s'accroît fortement au niveau du troisième volcan en cours d'édification au NE de l'île (volcan de M'Tsapéré, doc. 2'); elle se traduit par la production en abondance de laves différenciées, alcalines et visqueuses, qui vont former le très volumineux massif de phonolites et téphri-phonolites de M'Tsapéré et quelques coulées tardives du massif voisin de Digo. Il est possible que la production des laves phonolitiques soit en relation avec l'épisode de distension crutale évoquée précédemment : par étirement de la croûte, cette distension a pu entrainer une remontée des isogéothermes permettant la fusion partielle des basaltes de la croûte générant ainsi des liquides plus différenciés.

A la suite de cet épisode majeur, l'activité volcanique va se réduire très fortement pour se mettre en "sommeil" pendant près de 1million d'années. Les formations de l'île continuent à être soumises à l'altération et à l'érosion. Du fait des différences d'âges et de résistance à la dégradation, l'érosion différentielle accentue les contrastes lithologiques. Les apports de matériaux volcaniques ne compensant pas sa subsidence, l'île continue à s'abaisser, une barrière corallienne se développe alors par place.

Vers 500 000 ans (Pleistocène moyen) , l'activité reprend brutalement, au NE de Grande Terre; elle est maintenant explosive. La production d'un magma différencié visqueux de composition trachytique (plus riche en silice) et sa rencontre avec l'eau, est à l'origine d'un volcanisme phréato-magmatique se traduisant par de violentes explosions et des écoulements pyroclastiques très turbulents composés principalement de ponces et de cendres. Les retombées et les dépôts de pyroclastites vont s'étendre sur une grande surface et constituer de gigantesques anneaux autour de cratères d'emission des secteurs de Kavani et de Kaweni, où ces dépôts présentent des figures sédimentaires bien marquées (stratifications entrecroisées, laminations...).

La subsidence de l'île continuant, les coraux se développent, édifiant une barrière récifale qui délimite maintenant un vaste lagon. Ce dernier est soumis aux variations du niveau de la mer et peut se retrouver parfois totalement découvert (exondé), comme ce fut le cas au Pleistocène supérieur, lors de la période glaciaire du Würm (80 000 à 10 000 ans) où le niveau de la mer a chuté de plus de 120 mètres par rapport à son niveau actuel.

De moins de 50 000 ans jusqu'à environ 7000 ans (fin Pléistocène - début Holocène): l'activité se déplace vers le SE. Elle présente d'abord un style typiquement strombolien caractérisé par l'épanchement de coulées et des projections explosives de laves basaltiques.

Document 5 : Cône éguelé de Labattoir-Pamandzi, résultat de l'activité volcanique de type stromlolien au Pleistocène.

L'accumulation de ces produits au niveau des zones d'émission conduit à l'édification rapide de petits cônes dans le secteur de Mamoudzou ( la pointe actuelle de Mahabou, plage de Hamaha) et, plus à l'Est, au niveau de ce qui deviendra Petite-Terre, où plusieurs petits cônes de scories sont bien individualisés, l'un d'entre eux formant l'actuel rocher de Dzaoudzi (doc. 5).

Vers la fin de cette période, l'activité volcanique se concentre uniquement au niveau de Petite-Terre, où elle redevient explosive.

Document 6 : Cratères de Moya, en partie envahis par l'eau (maars), vestiges de l'activité explosive, phréatomagmatique, la plus récente.

Conséquence de la rencontre entre l'eau de mer et un magma différencié de composition trachytique, de violentes éruptions phréatomagmatiques générent des nuées de cendres et de lapilli ponceuses à partir de centres d'emission représentés aujourd'hui par les structures très spectaculaires que sont les cratères (maars) de Moya et du Dziani Dzaha.

C'est à proximité de ces structures, et sur toute la partie orientale de Petite-Terre, que ces dépots pyroclastiques sont les mieux représentés, s'étant localement accumulés sur plus de 30 m d'épaisseur apparente. Comme l'attestent les nombreux fragments coralliens présents dans ces dépôts, une barrière récifale (ou un récif frangeant) était déjà en place dans ce secteur et a été démantelée lors de cet épisode explosif.

Depuis, aucune manifestation volcanique n'a été décelée à Mayotte; seules quelques émanations gazeuses, s'échappant actuellement d'un petit cratère sous marin au niveau du platier oriental de Petite-Terre, trahissent encore une activité des plus ténue.

Soumises à l'altération et à l'érosion, particulièrement intenses sous ces latitudes, les formations volcaniques sont impliquées dans les processus sédimentaires qui conduisent à une atténuation des reliefs : l'île s'aplanie. Elle s'enfonce aussi; parallélement, les coraux, qui avaient disparu, se développent de nouveau au niveau de la barrière récifale et d'un récif frangeant : le lagon réapparaît. Des plages de sables de différentes origines apparaissent ainsi que des zones littorales abritées où s'installe la mangrove.

 

ORIGINE DU VOLCANISME

L'origine du volcanisme qui a généré l'archipel des Comores n'est pas établie à ce jour et est encore sujet à discussion. Elle est à chercher dans les processus géodynamiques globaux et complexes qui ont façonné cette partie de l'Océan Indien. L'origine du volcanisme est considérée selon deux modèles : l'un implique l'existence d'un "point chaud" fixe, l'autre, la réactivation de structures lithosphèriques préexistantes.

Document 7 : Reconstitution paléogéographique globale au Jurassique supérieur (modifié d'après l'atlas international PALEOMAP de C. R. Scotese, 2002).

 

Ces modèles font intervenir des déplacements de blocs continentaux issus du démentellement du supercontinent Gondwana, en relation avec l'ouverture de l'océan Indien, il y a près de 180 Ma (doc. 7).

 

 

 

 

Document 8 : Reconstitution du déplacement de Madagascar (au sein d'un bloc plus important) vers le SSE selon une faille représentée par la ride de Davie.

Parmi ces mouvements, celui du bloc portant Madagascar apparaît remarquable : à partir d'environ 150 Ma, ce bloc se détache de l'Afrique de l' Est et commence son déplacement vers le SSE selon un système de failles transformantes actuellement représenté par la ride de Davie (doc. 8). Ce coulissement se serait poursuivi jusqu'à 110 Ma alors que s'opérait un changement de dynamique d'ouverture de l'océan indien ((Rabinowitz et al, 1983).

Le modèle du "point chaud" fixe

Volcanisme toujours actif en Grande Comore avec le Karthala, différences de niveaux d'érosion et de stades de développement des récifs coralliens, nombre d'observations, partiellement confortées par des données géochronologiques, montrent une migration de l'activité volcanique vers l'ouest au sein de l'archipel des Comores. C'est pour expliquer cette migration que l'hypothèse du point chaud fixe a été avancée.

Document 9 : Modèle standard du point chaud dû à la remontée des profondeurs du manteau d’un panache de matière chaude. (Extrait de « La Terre à Cœur ouvert », Pour la Science, Dossier N°67)

Selon cette hypothèse, un panache de matière chaude, d'origine profonde (limite manteau-noyau ?, doc. 9) a créé un point chaud fixe qui aurait percé à plusieurs reprises la plaque Somalienne au cours de son déplacement relatif, globalement vers le NNE, depuis plus de 60 millions d'années (Emerick & Duncan, 1982, 1983).

Chaque percement générant un volcan au sein de cette plaque, un chapelet d'édifices volcaniques s'est formé, les plus agés étant les plus éloignés du point chaud (doc. 10). Certains auteurs ont reconnu une telle structure dans l'arc volcanique qui s'étend depuis des îlots au NE de Madagascar, pour les plus anciens, jusqu'aux îles de l'archipel des Comores, pour les plus jeunes, en passant par les îles Glorieuses et les bancs du Geyser et Zélée. Ce point chaud serait actuellement localisé au niveau de la Grande Comore (doc. 10).

Document 10 : Schéma de reconstitution de la formation des îles de l'archipel des Comores selon le modèle du point chaud fixe (modifié d'après Späth et al, 1996)

Noter que l'édification de ces îles résulte généralement de l'activité de deux appareils volcaniques; c'est souvent le cas des îles océaniques.

Encore couramment invoquée, cette hypothèse est de plus en plus remise en question, notamment car : 1) elle se heurte au schéma général de déplacement des plaques dans cette région; 2) elle ne rend pas compte de la succession des âges obtenus, l'édification d'Anjouan apparaissant plus récente que celle de Mohéli (3,9 Ma et 5 Ma respectivement)

Bien que discutable, ce modèle n'est pas à rejeter pour autant; des données nouvelles sur les panaches mantelliques pourraient le réhabiliter. Ainsi des travaux récents mettent en évidence que : 1) les points chauds sont mobiles; ils se déplaceraient de 2 cm par an, parfois de plus de 4 cm par an, en changeant de direction. Cette mobilité serait due aux mouvements de convection du manteau qui déstabiliseraient le panache mantellique. Leur base pourrait elle aussi se déplacer. 2) Les gros panaches profonds peuvent se scinder en de petits panaches plus superficiels qui vont avoir leur propre évolution; dans ce cas, la présence des masses continentales africaine et malgache, constituées de matière plus "froide", pourrait avoir joué un rôle prépondérant dans les mouvements thermiques.

Le modèle des structures lithosphériques préexistantes réactivées

Le déplacement vers le SSE du bloc portant Madagascar selon l'actuelle ride de Davie (fig. 4) aurait entrainé la réactivation de failles préexistantes, zones de faiblesse lithosphérique, qui ont pu ainsi rejouer à plusieurs reprises, favorisant la remontée de magma basaltique.

Parmi les atouts de ce modèle :

1) il s’accorde avec le schéma général de déplacement des plaques dans cette région;

2) la ride volcanique de l’archipel des Comores est globalement orientée N120°E (fig. 4); cette orientation est conforme à celles de nombreuses structures (dont des failles) pan-africaines (fin Précambrien, début Paléozoïque) identifiées en Afrique de l’Est et à Madagascar, et connues pour avoir rejoué à maintes reprises postérieurement.

Remarque : le déplacement de l'activité volcanique dans le Nord de Mayotte, depuis la région de Mtsamboro jusqu'à Petit-Terre, s'établit selon une orientation sensiblement N120°E.

Identifier l'origine du volcanisme nécessite des travaux complémentaires.

 

POUR ALLER PLUS LOIN

- Emerick C.M. & Duncan R.A., 1982. Age progressive volcanism in the Comores Archipelago, Western Indian Ocean and implications for Somali plate tectonics. Earth and Planetary Science Letter, 60, 412-428.

- Emerick C.M. & Duncan R.A., 1983. Errata, Earth and Planetary Science Letter, 62, p. 439.

- Le Bas M. J., Le Maître R. W., Streckeisen A & Zanettin B., 1986. A chemical classification of volcanic rocks based on the total alkali-silica diagram, Journal of Petrology, 27, 745-750.

- Nougier J., Cantagrel J. M. & Karche J. P., 1986. The Comores archipelago in the western Indian Ocean: volcanology, geolchronology and geodynamic setting., Journal of African Earth Sciences, vol. 5, 2, 135-145.

- Pour la Science, Dossier N°67, "La Terre à Cœur ouvert ", avril-juin 2010.

- Rabinowitz P., Coffin M. F. & Falvey D.,1983. The separation of Madagascar and Africa, Science, 220, 67-69.

- Scotese, C. R., 2002. http: // www.scotese.com


- Späth A., Le Roex A. P. & Duncan R. A., 1996. The geochemistry of lavas from the Comores Archipelago, Western Indian Ocean: petrogenesis and mantle source region characteristics, Journal of Petrology, 37, 961-991.

- Stieltjes L., 1988. Carte géologique de Mayotte avec sa notice explicative. Editions du BRGM.